3 Juillet 2017

Juno découvre un nouveau visage à Jupiter

Depuis juillet 2016, la sonde Juno de la NASA étudie de très près la structure et la composition de Jupiter. Avec sa trajectoire qui lui permet de passer entre la planète et ses anneaux à 5000 km d’altitude, elle réalisera un total de 32 orbites avant de plonger dans la planète en 2021. Plusieurs articles scientifiques viennent d’être publiés sur les 2 premiers survols de Juno. Tristan Guillot, astrophysicien à l’Observatoire de la Côte d’Azur à Nice, est co-auteur de trois de ces articles et nous explique les premiers résultats de la sonde.

 Jupiter a déjà été visitée par bon nombre de sondes, qu’est-ce que Juno apporte de nouveau ?

Tristan Guillot : Tout, en fait. Juno est la première mission exclusivement dédiée à la planète Jupiter et non au système entier de Jupiter, avec ses lunes et son environnement. Auparavant les données que nous en avions venaient essentiellement des mesures des missions Galileo, Pioneer, Voyager, et Cassini. Elles passaient plus loin et davantage dans le plan équatorial, alors que Juno passe par les pôles ce qui est beaucoup plus intéressant pour étudier le champ magnétique et pour cartographier la planète sous toutes les latitudes.

Certaines valeurs du champ de gravité mesurées par les missions précédentes étaient totalement contradictoires. Juno résout cette énigme grâce à des mesures 10 fois plus précises. A titre d’exemple, la figure ci-dessus compare les marges d’erreurs des précédentes études à celles de Juno.

bpc_juno_champdegravitation.png
Bolton et al., Science 356, 821–825 (2017) Jupiter’s interior and deep atmosphere: The initial pole-to-pole passes with the Juno spacecraft

Cette nouvelle mesure du champ de gravité utilise l’effet Doppler. Quand la sonde se rapproche de la Terre, le signal radio qu’elle émet est déplacé vers des longueurs d’onde plus courtes. Au contraire, quand elle s’éloigne, la longueur d’onde augmente. On peut ainsi mesurer très précisément la vitesse de la sonde et donc l’accélération causée par le champ de gravité de Jupiter. 

Ensuite, le champ magnétique est beaucoup plus complexe que ce que l’on pouvait mesurer loin de la planète. Sur le premier passage de Juno son amplitude est 50% plus élevée que ce qui était prédit par les modèles. En effet, de loin, les instruments ne vont être sensibles qu’au dipôle principal, la grosse boucle, et en s’approchant, ils peuvent percevoir les petites boucles. C’est utile pour comprendre l’effet dynamo, qui crée le champ magnétique des planètes et qui est encore très mal compris. Puisque ce sont les mouvements de matière qui génèrent ce champ magnétique, on espère ensuite relier ces mesures à celles du champ gravitationnel et donc à la structure de la planète.

Enfin, on dispose d’antennes micro-ondes qui permettent de sonder l’atmosphère profonde de la planète, ce qui n’avait jamais été fait par une sonde spatiale jusqu’à présent. 

Qu’est-ce que ces mesures changent sur notre compréhension de Jupiter ?

TG : Les précédents modèles suggéraient un noyau lourd, sous une enveloppe d’hydrogène et d’hélium très uniforme. On sait que ces deux éléments constituent à eux seuls près de 90% de la masse de Jupiter. Les estimations indiquent des éléments lourds et solides d’une masse totale de 10 à 40 masses terrestres. Les nouvelles contraintes sur le champ de gravité montrent que vraisemblablement, ils ne constituent pas un noyau central bien défini, ils sont dilués dans les couches supérieures. Ce qui veut dire que ces éléments auraient été capturés progressivement pendant la formation de la planète ou érodés progressivement à partir du noyau. Cependant, cela reste à confirmer en étudiant plus précisément ce champ gravitationnel et la rotation interne de la planète qui affecte l’interprétation précise des mesures. Ca sera notre objectif principal cette année. 

Mais pour le moment je dirais que la grande découverte de Juno, ce sont les mesures de l’atmosphère profonde par les antennes micro-ondes. Ces mesures tracent l’abondance d’ammoniac, la molécule qui forme les nuages visibles de Jupiter. La planète s’avère humide en ammoniac aux pôles, et asséchée à l’équateur. Cela indiquerait des mouvements ascendants au niveau de l’équateur, et descendants partout ailleurs ce qui n’était pas du tout ce qui était envisagé.

Qu’en est-il de l’eau dans Jupiter ? 

L’abondance d’eau est un des grands mystères de Jupiter depuis que la sonde Galileo en a mesuré très peu lors de sa chute dans l’atmosphère en 2003. Depuis, on ne sait pas si Jupiter possède effectivement très peu de vapeur d’eau. Galileo pourrait être tombée dans une zone anormalement sèche. Or on imagine que cette molécule a eu un rôle prépondérant dans la formation des planètes et de notre système solaire. L’un des objectifs majeurs de Juno est la mesure de cette abondance profonde d’eau dans Jupiter. Malheureusement, pour l’instant, la complexité inattendue de l’atmosphère profonde nous empêche de déduire quoi que ce soit. Mais il reste encore beaucoup de données à analyser. Nous allons faire le maximum pour tenter de contraindre cette abondance d’eau grâce aux données Juno.

La fin de mission était initialement prévue pour 2018, pourquoi la mission Juno est-elle prolongée jusqu’en 2021 ?

TG : Au départ il s’agissait d’un dysfonctionnement. Au lieu de survoler Jupiter tous les 14 jours comme il était prévu, Juno est restée sur une orbite de 53 jours. Au moment de passer sur les orbites rapides, la NASA a détecté un problème sur les valves à hélium qui assistent le moteur principal. Elles ne s’ouvraient pas exactement au moment demandé donc pour plus de sûreté, ils ont décidé de ne pas activer le moteur. Juno est donc restée sur l’orbite de 53 jours, et cela s’avère plus utile du point de vue scientifique. Cette panne va en fait nous offrir la possibilité de sonder la magnétosphère de façon plus approfondie. Avec une mission de plus longue durée, Juno pourra mesurer des variations dans le temps auxquelles nous n’aurions pas eu accès. Nous aurons plus de temps pour espérer détecter des anomalies du champ magnétique, ce qui nous informerait sur les mouvements convectifs qui ont lieu à l’intérieur de la planète.

En dehors de cet incident, la mission fonctionne très bien. Les dégâts dus aux ceintures de radiation sont faibles donc le vaisseau est en meilleur état que prévu. La mission devrait pouvoir se poursuivre sans problème jusqu’à sa nouvelle échéance de 2021. Suite à quoi elle plongera dans l’atmosphère de Jupiter pour éviter de contaminer ses lunes, notamment Europe et son océan interne où l’on espère un jour étudier la présence de vie. Pendant la descente, Juno en profitera pour étudier l’atmosphère de Jupiter une dernière fois et au plus près, comme le fera bientôt la sonde Cassini sur Saturne en septembre prochain.

Références

- Bolton et al., Science 356, 821–825 (2017) Jupiter’s interior and deep atmosphere: The initial pole-to-pole passes with the Juno spacecraft

- Wahl, S. M. et al. (2017), Comparing Jupiter interior structure models to Juno gravity measurements and the role of a dilute core, Geophys. Res. Lett., 44, doi:10.1002/2017GL073160. 

- Kaspi Y. et al., (2017), The effect of differential rotation on Jupiter's low-degree even gravity moments, Geophys. Res. Lett., 44, doi:10.1002/2017GL073629.

Contacts 

  • Tristan Guillot, directeur de recherche CNRS à l’Observatoire de la Côte d'Azur : tristan.guillot at oca.eu
  • Francis Rocard, responsable du programme Système solaire au CNES, francis.rocard at cnes.fr