28 Mars 2018

Les vents puissants de Jupiter

Comprendre la dynamique des vents de Jupiter, c’est lever le voile sur la composition et la formation des planètes gazeuses. Au travers des mesures de la mission Juno, les équipes de recherche ont produit des résultats déterminants, publiés le 7 mars 2018 dans Nature. Tristan Guillot, l’un des principaux auteurs, et Yamila Miguel nous détaillent ces découvertes.

La sonde Juno, à la reconquête de Jupiter

Jupiter est l’une des planètes les plus étudiées de notre système solaire. Visible à l’œil nu dans le ciel de nuit, elle a été survolée par 7 missions et lors de son étude par le vaisseau américain Galileo entre 1995 et 2003, une sonde a même plongé dans son atmosphère.

Pourtant, il aura fallu attendre que Juno arrive en orbite polaire de la géante gazeuse (juillet 2016) pour que les équipes de recherche disposent de données solides sur les 3 thèmes principaux de la mission : la composition interne de Jupiter, sa magnétosphère et son atmosphère. Juno est sur une trajectoire elliptique, qui l’amène tous les 53 jours à moins de 4 000 km des puissants courants nuageux qui cerclent Jupiter sur plusieurs « bandes » déjà bien connues, tournant à des vitesses différentes (parfois plus de 300km/h de différence).

La sonde n’a pour l’instant réalisé que 11 orbites, mais cela n’a pas empêché des mesures capitales, étudiées dans les unités de recherche du monde entier. « L’orbite particulière de Juno, qui passe très près des pôles et des formations nuageuses est capitale pour les recherches sur le champ gravitationnel. C’est une mission unique, qui produit des données pour des générations de scientifiques », s’enthousiasme Tristan Guillot 1, dont les résultats sont publiés dans les colonnes de Nature le 7 mars 2018.

À la base de ces travaux, il y a la mesure précise de la gravité de Jupiter. Lors de son passage au périjove, au plus près de l’atmosphère de Jupiter, Juno reçoit une suite de messages transmis depuis la Terre, qu’il renvoie aussitôt en bande X et Ka. Or les variations du champ gravitationnel de la planète géante induisent de minuscules déplacements, qui se traduisent en décalages en fréquence entre les messages. Grâce à cette application de l’effet Doppler, une carte de la gravité 100 fois plus précise que les mesures précédentes a pu être établie.

Et c’est la première surprise : contrairement à un modèle mathématique pour une planète gazeuse, l’attraction de l’hémisphère Nord est plus importante que celle de l’hémisphère Sud 2 ! « Jupiter n’a pas de surface, et sa rotation rapide (10 h terrestres) laissait penser à un champ gravitationnel Nord-Sud symétrique, or ce n’est pas le cas » poursuit Tristan Guillot. Reste à trouver le phénomène responsable. Le cœur de la planète est rapidement mis hors de cause, car malgré sa densité phénoménale, tous les modèles prédisent qu’il est homogène et dans un état d’équilibre.

Les vents, sculpteurs de Jupiter

Et si c’étaient les vents ? Des courants si puissants et si profonds que la masse de gaz qu’ils déplacent serait suffisamment influente pour faire varier les harmoniques du champ gravitationnel ? C’est ce que pressentent les chercheurs : les bandes nuageuses de l’hémisphère Nord n’ont pas les mêmes caractéristiques que celles du Sud de Jupiter.

Même si les variations sont minimes, les données de Juno sont cohérentes et peuvent s’expliquer si les vents atmosphériques pénètrent jusqu’à 3 000 km de profondeur. Des résultats impressionnants, qui montrent que les courants déplacent jusqu’à 1 % de la masse totale de Jupiter, près de 3 fois la masse terrestre ! Pourtant, il n’y a pas de doute : en parallèle de cette méthode analytique (dont le premier auteur est le professeur Yohai Kaspi 3), l’équipe de Tristan Guillot a fourni des résultats similaires en comparant les résultats de Juno à ceux de centaines de milliers de modèles de l’intérieur de la géante gazeuse.

Or valider ces résultats est d’une importance capitale « C’est l’étape suivante. À présent que nous avons une représentation fidèle des courants de vent sur Jupiter, cette analyse va contraindre la composition des couches internes de la planète », confirme Tristan Guillot. Car plus profondément, températures et pressions augmentent. Et le champ magnétique, lui aussi plus complexe qu’attendu, interagit avec les vents en rotation à différentes vitesses. Même si l’intérieur profond de Jupiter tourne de façon uniforme, les mécanismes sont complexes.

bpc_juno_vents_jupiter.jpeg

Structure interne de Jupiter © Tristan Guillot, Observatoire de la Côte d’Azur, France

« Nous commençons juste à mieux comprendre la rotation interne de Jupiter et la distribution d’éléments atomiques plus lourds que l’hydrogène et l’hélium », nous répond Yamila Miguel 4. Toutefois, l’étude précise des vents, des tourbillons et tempêtes à la surface de Jupiter ne fait que commencer « À chaque passage de Juno nous augmentons nos connaissances sur le champ de gravité, et cela nous permet de mieux en mieux appréhender les courants ».

L’instrument de spectrométrie infrarouge JIRAM embarqué sur la sonde permettra d’affiner les modèles, en révélant les zones les plus hautes de ces structures complexes (jusqu’à 70 km de profondeur environ). La quatrième et dernière publication de Nature met d’ailleurs en évidence 2 groupes de gigantesques cyclones aux pôles Nord et Sud de Jupiter, observés pour la première fois grâce à la sonde. Un tourbillon central et 8 tornades connexes, qui se touchent presque l’une avec l’autre au Nord, et 6 tourbillons au Sud ! Une observation unique pour le système solaire, explique Alberto Adriani 5 dans son article, d’autant qu’il ne s’agirait pas de tempêtes passagères mais de phénomènes stables au cours du temps malgré la force des vents qui atteignent 350 km/h. Et d’autres d’interrogations émergent. Ces formations polaires n’ont presque rien en commun avec celles observées par Cassini sur Saturne, l’autre géante gazeuse lors de sa dernière année de prise de mesure !

« Associer nos recherches aux mesures de Cassini nous permet d’affirmer par exemple que les vents sur Saturne ont une influence qui s’étend jusqu’à 9 000 km de profondeur. En décryptant Jupiter, ses vents, sa composition et son champ magnétique, on obtient des clés sur l’origine du système Solaire », explique M. Guillot. Mais continuer de résoudre ce puzzle de notre passé lointain, c’est aussi affiner nos analyses des autres systèmes : la découverte d’exoplanètes et de naines brunes bénéficie de ces recherches. « C’est même une approche complémentaire, conclut Tristan Guillot. On peut étudier de façon très détaillée la dynamique de Jupiter et Saturne, mais ce sont les seules à notre disposition. À l’inverse, il y a des centaines d’exoplanètes gazeuses connues, mais les données que nous pouvons recueillir sont beaucoup moins précises et détaillées !»

Références

1 M. Tristan Guillot est premier auteur de l’article « A suppression of differential rotation in Jupiter’s deep interior » paru dans Nature, et co-auteur de deux autres articles parus dans la même édition. Université Côte d’Azur, CNRS, Observatoire de la Côte d’Azur, Nice, France.

2 M. Luciano Iess est premier auteur de cet article de Nature, intitulé « Measurement of Jupiter’s asymmetric gravity field » et co-auteur de deux autres articles parus dans la même édition. Sapienza University, Rome, Italy.

3 M. Yohai Kaspi est premier auteur de l’article « Jupiter’s atmospheric jet streams extend thousands of kilometres deep » paru dans Nature, et co-auteur de deux autres articles parus dans la même édition. Weizmann Institute of Science, Rehovot, Israel

4 Mme Yamila Miguel est co-auteure de trois des quatre articles parus dans Nature. Leiden Observatory, Pays-Bas.

5 M. Alberto Adriani est premier auteur de l’article « Clusters of cyclones encircling Jupiter’s poles » paru dans Nature. Institute for Space Astrophysics and Planetology, Rome.

Contacts

  • Tristan Guillot, directeur de recherche CNRS à l’observatoire de la Côte d'Azur : tristan.guillot at oca.eu
  • Yamila Miguel, professeur adjoint à l'observatoire de Leiden, Pays-Bas : ymiguel at strw.leidenuniv.nl
  • Francis Rocard, responsable des programmes d’exploration du Système solaire au CNES : francis.rocard at cnes.fr

Légende : Image composite du pôle Nord de Jupiter et ses huit cyclones, dérivée des résultats de l’instrument JIRAM à bord du vaisseau Juno.
Crédits NASA/JPL-Caltech/SwRI/ASI/INAF/JIRAM